Le nouveau film Kontrabida Academy se présente non seulement comme une comédie, mais aussi comme une exploration méta-cinématographique et autoréflexive de la narration elle-même. Son intrigue débute lorsque la vie de Gigi, une employée de restaurant interprétée par Barbie Forteza, commence à s’effondrer. Elle fait face à un manque de respect systémique dans ses sphères professionnelle, familiale et amoureuse, un état de délabrement qui la cantonne au rôle de victime perpétuelle. Le film prend un tournant fantastique lorsque Gigi est physiquement transportée à travers l’écran de sa télévision dans une institution clandestine formant les méchants de fiction. Ce dispositif narratif établit le concept central du film : un voyage littéral au cœur de la machine à raconter des histoires, où les tropes de la méchanceté ne sont pas de simples fonctions dramatiques, mais un art émancipateur qui peut s’apprendre.
Le film est un hybride de comédie dramatique et de fantasme de vengeance, employant le cadre structurel du genre japonais isekai, dans lequel un protagoniste est transporté dans une réalité alternative. La portée de ce choix de genre est profonde ; le « monde différent » dans lequel Gigi pénètre n’est pas un royaume de fantaisie conventionnel, mais l’univers diégétique du feuilleton philippin, ou teleserye. C’est un monde régi par des archétypes de personnages et des conventions narratives bien établis, faisant du décor du film un laboratoire de dissection culturelle. L’académie, sous la direction de la redoutable Mauricia, jouée par Eugene Domingo, a une mission claire : enseigner à ses élèves « comment être méchant, comment être flamboyant et comment être courageux ». Ce programme est explicitement présenté comme une méthodologie d’émancipation, un moyen pour Gigi de cultiver sa confiance en soi et de se venger de ses bourreaux du monde réel. La thèse centrale du film émerge ainsi : l’adoption stratégique du personnage de méchant est une voie viable, voire nécessaire, vers la réalisation de soi dans un monde qui s’acharne sur les plus passifs.
La méthode Martinez : la satire comme scalpel cinématographique
Kontrabida Academy est une œuvre marquante dans la filmographie du scénariste-réalisateur Chris Martinez, un dramaturge lauréat du prix Palanca dont le travail cinématographique se caractérise par une synthèse d’attrait populaire et de rigueur intellectuelle. Le film se positionne comme un successeur spirituel de ses scénarios précédents, notamment La Femme dans la fosse septique (Ang Babae sa Septic Tank). Dans ce film, qui suivait des cinéastes tentant de créer un drame digne d’un Oscar sur une mère vendant son enfant à un pédophile, Martinez déconstruisait les tropes du « poverty porn » et les prétentions du circuit du cinéma indépendant. Ici, il déplace son regard satirique de l’art et essai vers le grand public, disséquant les archétypes de la teleserye commerciale, en particulier sa figure la plus durable : la kontrabida. Cette continuité thématique révèle un projet de longue haleine consistant à tendre un miroir à l’industrie cinématographique philippine elle-même, en utilisant les conventions de genre pour interroger les valeurs culturelles qu’elles reflètent.
La philosophie comique de Martinez, qu’il résume en disant que « les meilleures comédies sont celles qui vous font rire aux larmes, mais qui en réalité font mal », est pleinement réalisée dans ce film. L’humour n’est pas une fin en soi mais un véhicule de commentaire social, un scalpel utilisé pour exposer des vérités douloureuses sur les dynamiques de pouvoir, les attentes sociales et la construction de l’identité. Sa maîtrise des comédies d’ensemble, démontrée dans des films comme Here Comes the Bride, est évidente dans le cadre de l’académie, où de multiples arcs narratifs sont gérés au sein d’un récit cohérent et spirituel. Son admiration déclarée pour l’œuvre de Woody Allen témoigne d’une affinité pour une comédie axée sur les dialogues qui explore les absurdités de la société. En fin de compte, Kontrabida Academy est un projet ambitieux qui cherche à élever le genre de la comédie locale, offrant au public quelque chose de « grand, audacieux et différent », à la fois stimulant intellectuellement et largement divertissant.
Une masterclass de malveillance : la dynamique Domingo-Forteza
Le film est ancré par la puissante dynamique entre ses deux actrices principales. L’interprétation d’Eugene Domingo dans le rôle de Mauricia est une masterclass de mentorat archétypal. Sa performance est éclairée par une carrière célèbre qui lui a valu le titre de « Star de la Comédie de toutes les saisons ». Sa filmographie, qui comprend son double rôle principal dans la série Kimmy Dora, écrite par Martinez, et sa performance acclamée internationalement dans La Femme dans la fosse septique, révèle une actrice qui navigue avec une habileté exceptionnelle entre la comédie burlesque et le drame nuancé. Diplômée de la prestigieuse compagnie de théâtre Dulaang UP, Domingo apporte une présence imposante au rôle, ce qui en fait une directrice crédible et redoutable pour une académie d’antagonistes.
Le choix de Barbie Forteza pour le rôle de Gigi est une subversion délibérée de son image de star établie. En tant que « Princesse du Prime Time de Kapuso », elle est principalement connue pour incarner la bida, ou l’héroïne, dans des séries populaires telles que The Half Sisters (Les Demi-sœurs) et Anak ni Waray vs. Anak ni Biday. Sa carrière étendue et polyvalente, qui comprend un prix international de la meilleure actrice pour le film Laut et un rôle déterminant dans la série Maria Clara at Ibarra, démontre une gamme dramatique significative. L’arc de son personnage dans le film — d’une protagoniste opprimée à une antagoniste émancipée — reflète un méta-récit d’une actrice connue pour jouer les héroïnes qui apprend à manier le pouvoir de la méchante. Ceci est encore approfondi par le développement artistique de Forteza dans le monde réel, qui inclut sa participation à une masterclass de théâtre avec la regrettée Cherie Gil, l’une des kontrabidas les plus emblématiques du cinéma philippin. Le casting crée donc une relation mentor-protégée fascinante qui fonctionne également comme un dialogue entre les générations cinématographiques. Domingo, la force comique chevronnée et collaboratrice fréquente de Martinez, forme Forteza, la porte-drapeau de la génération actuelle du drame de prime time. C’est un échange symbolique entre deux traditions distinctes mais liées du divertissement philippin : la comédie cinématographique satirique et pointue, et le drame en série à forte résonance émotionnelle.
La valeur culturelle de la ‘kontrabida’
Le film se livre à une analyse culturelle sophistiquée de l’archétype de la kontrabida, un élément fondamental des médias populaires philippins. Traditionnellement, cette figure est une matriarche riche, intrigante et puissante qui constitue le principal obstacle au bonheur de l’héroïne. L’importance de ce personnage va au-delà de la simple mécanique de l’intrigue ; c’est un symbole culturel puissant. La kontrabida représente une transgression de l’identité philippine idéalisée, souvent dépeinte comme « pure, soumise et naïve ». Son ambition, son assurance et son exercice du pouvoir sont codés comme des traits vils, et son arc narratif se termine classiquement par une punition, renforçant ainsi les normes sociales conservatrices.
Kontrabida Academy subvertit fondamentalement cette fonction. La kontrabida passe d’un récit édifiant à un modèle à suivre. Le film postule que dans un monde qui exploite la bida passive, adopter l’agentivité de la kontrabida est un acte de survie rationnel, voire essentiel. Le programme de l’académie, qui comprend des leçons sur la manière de livrer des monologues cinglants et d’exécuter des gifles dramatiques, est présenté comme une boîte à outils pratique pour naviguer dans un environnement hostile. Le film suggère que l’antagoniste ne naît pas, mais se fabrique, étant un « produit direct du monde dans lequel elle a lutté pour survivre ». Ce recadrage est un acte de réappropriation féministe. Il prend un trope de personnage historiquement utilisé pour contrôler l’ambition féminine et le réinvente comme une source de libération. Le film soutient que la « méchanceté » de la kontrabida n’est pas un mal inhérent, mais plutôt la possession d’une agentivité et un refus de souffrir en silence — des qualités codées comme antagonistes uniquement au sein d’une structure narrative patriarcale. L’académie est l’espace où ce codage est déconstruit et ses composantes récupérées comme une force.
Un ensemble d’archétypes et le verdict final
L’académie est peuplée d’une solide distribution d’ensemble, comprenant Jameson Blake, Michael De Mesa, Ysabel Ortega, Xyriel Manabat, Carmina Villaroel, Yasser Marta et Pinky Amador. Leurs rôles fonctionnent comme des représentations de divers sous-archétypes de la méchanceté à l’écran, enrichissant l’univers autoréférentiel du film. Un hommage poignant à la lignée de cet archétype est la présence visible d’une photographie de la regrettée Cherie Gil dans les couloirs de l’académie, cimentant la profonde conscience du film de sa propre histoire cinématographique.
Dans sa totalité, Kontrabida Academy est une histoire complexe et riche qui utilise une prémisse comique pour interroger le poids du pouvoir et les répercussions des décisions humaines. Sa réussite réside dans sa capacité à fonctionner simultanément comme une comédie très divertissante et une critique intelligente des médias. C’est une œuvre significative du cinéma philippin contemporain, qui se distingue par un scénario spirituel, une mise en scène acérée et l’alchimie redoutable de ses actrices principales. Le film récompense les spectateurs familiers des tropes des médias philippins tout en restant accessible grâce à son récit universel d’émancipation. Le film a une durée de 107 minutes. Produit par Unitel Straight Shooters Media, Kontrabida Academy a été lancé mondialement sur Netflix le 11 septembre 2025.

