L’exposition présente une galerie de portraits réalisés entre 2008 et 2023 par douze artistes du Congo, dont deux sont présentés pour la première fois en
Europe.
Le portrait a gagné une place centrale dans l’art contemporain africain au cours des dix dernières années. Les artistes l’utilisent pour explorer des thèmes liés à l’identité, l’histoire et la culture africaine, mais aussi les défis auxquels sont confrontées les communautés africaines aujourd’hui. La visibilité du corps noir à travers les portraits apparaît comme un contrepoint à l’invisibilité et à la marginalisation longtemps subies par les communautés noires.

Amani Bodo, Messi le roi Léo (Série
Tous sapeurs !) (2015)
Acrylique sur toile, 100 x 80 cm
© PCP - Courtesy A. Bodo et Angalia
Amani Bodo, Messi le roi Léo (Série Tous sapeurs !) (2015) Acrylique sur toile, 100 x 80 cm © PCP – Courtesy A. Bodo et Angalia

Beaucoup d’artistes s’en servent aujourd’hui pour questionner les stéréotypes, construire une représentation plus juste, ou même servir un activisme pro-minorités.
Les oeuvres présentées dans Portraits ya Kongo se démarquent de ce courant de « démarginalisation » et d’affirmation de l’identité, que les artistes congolais ont peu investi. Elles relèvent davantage de l’intérêt pour l’individuel et le singulier, et sont plutôt liées à l’expérience intime. Elles perpétuent dans tous les cas un genre très ancien et prolifique, que la photographie n’a pas épuisé. Dans l’art contemporain,
le portrait continue de remplir certaines de ses fonctions historiques.

Francis Mampuya, Portrait de
Mampuya Ferdinand (2022)
Acrylique sur toile, 85 x 63 cm
© PCP - Courtesy F. Mampuya et
Angalia
Francis Mampuya, Portrait de Mampuya Ferdinand (2022) Acrylique sur toile, 85 x 63 cm © PCP – Courtesy F. Mampuya et Angalia


Célébrer les grands personnages en est une. Parmi les oeuvres présentées, plusieurs rendent hommage à de grandes figures populaires : arts visuels, musique
et football.
Ngule Freeman, tout jeune dessinateur hyperréaliste, célèbre l’un de ses aînés de la scène artistique congolaise avec un portrait rayonnant de JP Mika, peintre de la joie et de la couleur aux vestes à fleurs légendaires. Ce portrait est frappant par sa fidélité avec le modèle. Si l’histoire du portrait montre que la ressemblance n’est pas un impératif du genre, et que le portrait peut répondre à la volonté de transcrire le caractère d’une personne avant d’en reproduire strictement l’apparence physique, cette oeuvre conjugue les deux avec éclat.
Théo Mwamba rend quant à lui hommage au Grand Kallé, père de la musique congolaise moderne, compositeur et interprète de la chanson Indépendance
Cha Cha, le titre mythique de 1960 devenu un hymne des indépendances africaines.
Avec Messi le roi Léo, représenté dans la pose familière d’un grand roi, Amani Bodo fait un pont entre l’histoire de l’art et le portrait contemporain, en figurant
le célèbre footballeur suivant la grande tradition classique du portrait en pied du XVIIe siècle. Il révèle au passage la place du football dans notre société contemporaine, à la manière d’un Omar Victor Diop dans sa série Diaspora.
Cette représentation de « roi » évoque la fonction politique du portrait dit « officiel », c’est-à-dire du portrait de chef d’État. Steve Bandoma la détourne
dans Little Trump en s’inscrivant dans cette tradition, mais pour mieux tourner en ridicule l’homme d’État en question. Il rejoint avec cette oeuvre un autre genre du portrait, la caricature, qui sert la satire. À l’opposé, le portrait de Patrice Lumumba, 1er premier ministre de la République démocratique du Congo et grande figure de l’Indépendance, est saisi par Ngule Freeman dans un moment de relâchement
et de franc sourire, loin du protocole. Autorité morale présente les caractéristiques formelles du portrait politique, mais ici Kura Shomali s’affranchit de la représentation individuelle, dans la mesure où le personnage ne représente aucun dirigeant reconnaissable. Il exploite une photo de Yves Sambu de la série « Vanité apparente » pour caricaturer les hommes de pouvoir grisés par leur puissance,
dans une allégorie du pouvoir autocratique.
Allégoriques, les oeuvres de Catheris Mondombo, Théo Mwamba, Stanis Mbwanga et Eli Made le sont pleinement. Sur des sujets sociaux ou plus intimes, ils se servent du portrait pour montrer les ravages physiques et psychologiques d’environnements délétères.
Dans Réparation, Catheris Mondombo utilise la fonction symbolique du portrait pour figurer une métaphore de la femme victime de violences. Il recherche la beauté plastique pour émouvoir, intéresser le spectateur au sort de la personne représentée, et par extension, des femmes victimes d’abus.
Théo Mwamba emprunte la même voie en dénonçant le travail des enfants, symbolisé par un codebarres apposé sur ses portraits. Présentés pour la première fois par la galerie, les portraits sur céramique de Stanis Mbwanga s’inscrivent
dans une longue tradition de peinture sur porcelaine, en particulier en Chine (où s’est formé Stanis) et en Europe. Une grande part de son travail dénonce l’avidité d’un capitalisme agressif, ciblant particulièrement l’industrie des nouvelles technologies de l’information et de la communication, synonymes pour lui d’exploitation abusive des énergies fossiles et matières premières. Le dessin caractéristique des cartes électroniques souvent reproduit sur ses portraits cherche à interpeller sur cet assujettissement.
Avec l’oeuvre Dans le masque, réalisée à l’eau de javel, le tout jeune artiste Eli Made (19 ans) veut montrer l’importance culturelle et spirituelle de l’art africain
traditionnel en représentant un homme absorbé dans la contemplation d’un masque. Eli est exposé pour la première fois en Europe. Sa technique rare est mise au service d’une expression nourrie par une expérience personnelle douloureuse et un travail de résilience impressionnant.
Dans les triptyques de la série Tala Ngai (« Regarde moi »), le portrait est à l’intersection du social et de l’intime. En s’inspirant du portrait en pied classique,
Gosette Lubondo photographie des jeunes femmes de Kinshasa en deux temps : avant et après qu’elles soient maquillées et apprêtées, autrement dit telles
qu’elles sont chez elles et telles qu’elles se présentent en public. Une troisième photo montre une partie de leur intérieur. Cette série est à la fois une réflexion
sur la perception de soi et le regard extérieur, et un témoignage sur la vie des femmes kinoises en 2020, qui constituera une mémoire de cette époque dans le futur.
La fonction de mémoire, mais individuelle cette fois, est prégnante dans les portraits posthumes peints par Moke fils (Moke fils peint Moke père) et Francis
Mampuya (Portrait de Mampuya Ferdinand) en hommage à leur père. Chez Mampuya, la dimension introspective semble plus forte. Dépouillé de tout
environnement et de tout objet annexe, le portrait en gros plan du visage donne à voir l’émotion du lien filial. Le tableau a été réalisé quelques jours après la mort du père de l’artiste. Ces tableaux sont sans doute ceux qui illustrent le mieux l’objet premier du portrait, à savoir « rendre les absents présents », selon la formule de Leon Battista Alberti (à qui l’on doit un traité de peinture à la Renaissance).
Le portrait peint par Moke fils a cette particularité qu’il se double d’un autoportrait et convoque la notion de filiation artistique à travers la mise en abyme du tableau dans le tableau. Le fils rend hommage à la fois à son père et au grand peintre qu’il était.
Deux autres autoportraits trouvent place dans l’exposition, dont le marquant Autoportrait à la nature de JP Mika. OEuvre à part dans la production du
peintre connu pour ses portraits vibrants sur fonds fleuris, elle est naturellement inspirée par les travaux de Giuseppe Arcimboldo. Mais là où les compositions
d’Arcimboldo figurent des personnages imaginaires, JP Mika réussit l’exploit de l’autoportrait en relevant le défi de la ressemblance. En lieu et place des natures mortes du peintre de la Renaissance, l’artiste compose son visage avec le monde vivant : animaux, forêt, océan. Son autoportrait est tout autant un hommage à la nature flamboyante.

Galerie Angalia

10-12, 10 Rue des Coutures Saint-Gervais, 75003 Paris, France

Partager
Laissez un Commentaire