Pour sa quatrième exposition monographique à la galerie anne barrault, David
B. poursuit une quête au long cours initiée avec L’Ascension du Haut Mal. Dans ce récit autobiographique publié en six tomes de 1996 à 2003, David B. retraçait le développement de l’épilepsie de son frère Jean-Christophe et son incidence sur les membres de la famille. Il y analysait, aussi, le déploiement progressif de sa propre création. Aux histoires de vie se mêlaient des figures imaginaires et des récits de rêve ; le monde de David B., traversé par des héros bataillant sans trêve et des créatures protectrices et bienveillantes, était tiraillé entre les forces de la conscience et celles de l’inconscient, le rationnel et l’irrationnel, l’équilibre et le chaos.
Hanté par la mort récente de son frère survenue à la fin de l’année 2023, David B. entreprend une nouvelle série de dessins sur lui. « C’est cela qui me vient naturellement, l’envie de le dessiner lui, ce qu’il a été, ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait. De le faire vivre, d’une certaine façon. »[2] Il y a cette matière vive de souvenirs récents, cette dernière nuit que David B. a passée avec son frère, marquée par un monologue dit et chanté, incompréhensible – une agonie lumineuse et sereine. Et ces interrogations restées sans réponse sur ce que ce grand frère, privé progressivement d’une partie de sa mémoire et de l’usage d’une langue apprise, pouvait ressentir. Dans ces dessins, c’est le corps de son frère qui vient d’abord. « Le corps a beaucoup d’importance car mon frère a été beaucoup touché dans son corps. La maladie, ses crises, et le fait qu’il tombe, qu’il se blesse ». Un corps abîmé par les chutes et les médicaments, qui se disloque de l’intérieur, se fragmente, perd ses liaisons habituelles. Ce « frère en morceaux » que David B. dessine, il l’a « souvent vu comme si chaque chute cassait un morceau de lui ». Mais c’est aussi un corps lisant, attaché aux mots, ceux des livres de sa mère, ceux qu’il prononce, et ce nouveau langage qu’il crée. Un triptyque traite ainsi de « L’invention de l’écriture », et des lettres émergent des corps.
Installé à Bologne depuis plusieurs années, David B. y a réalisé cette série de dessins. Il reprend et mêle encre, gouache, acrylique, crayon, dans la palette noire, blanche et grise qu’il affectionne. Il peint et dessine sur des papiers variés, certains ont été récupérés et recoupés au format 30 x 40 cm (celui des planches, et de ce qui peut-être transporté facilement) : il y a un jeu à s’adapter à leurs capacités d’absorption, de dilution. L’élaboration de ces dessins se déploie sur un temps long, même si le projet est posé en amont, dans un carnet, sous la forme d’une matrice ébauchée. Les futurs dessins y sont des cases esquissées, avec des titres
; « souvent je commence par le titre, et je trouve un dessin qui correspond à un titre ». Il y en a plusieurs par page, et on navigue dans ce carnet comme dans une galerie de tableaux, ou comme dans un story-board un peu abstrait, où la lecture des titres construit en pointillés une histoire énigmatique. David B. cultive en effet la nécessité de se laisser guider au moment du faire, retouchant si nécessaire des oeuvres qui se montent progressivement : « je fais tout directement sur la page au définitif ; cela ne veut pas dire que je vais vite, je réfléchis beaucoup. Je transforme directement, si ça ne va pas, j’efface, je reviens. Je colle un coup de peinture. » Il n’est pas surprenant, alors, de retrouver dans ses fréquentations actuelles deux figures du surréalisme, le peintre français André Masson (qu’il redécouvre raconté par Michel Leiris), et l’italien Alberto Savinio, écrivain, peintre et frère de Georgio Di Chirico. S’y lient des mots et des oeuvres plastiques singulières et en partie méconnues, qui bâtissent des mondes avec des choses qui n’y existent pas ensemble. C’est dans cette révélation de l’invisible, et la capacité de transcrire un monde mental d’une incroyable fertilité, traversé par une forme de tragique, que David B. nous transporte.
Camille de Singly
4 avril 2024
BIOGRAPHIE
Né en 1959 en France, vit et travaille à Bologne, Italie
David B. est l’une des personnalités incontournables de la bande dessinée.
En une trentaine d’années, il se retrouve à la tête d’une bibliographie abondante, dont sa série emblématique et autobiographique « L’Ascension du Haut Mal », (l’Association), publiée dans plus de 20 langues.
Plus récemment, il a dessiné et scénarisé « Hâsib et la Reine des serpents – Un conte des mille et une nuits », (Gallimard), « La Mort Détective », (L’Association). Ces livres lui concèdent une importante reconnaissance auprès d’un public français et international.
David B. est également l’un des membres fondateurs de la maison d’édition L’Association, qui à partir des années 90, a eu une grande influence sur la création de la bande dessinée contemporaine.
Les dessins de David B ont fait l’objet de nombreuses expositions, notamment à la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (Angoulême), au Museum of American Illustration (New York), au centre Culturel de Chicago, au FRAC Meca, Nouvelle-Aquitaine, au CAPC – Musée d’Art contemporain de Bordeaux, ainsi qu’à la Collection Lambert à Avignon.
A partir de mai prochain, ses dessins seront mis à l’honneur dans l’exposition La bande dessinée au Musée, dont Anne Lemonnier sera la commissaire, à l’occasion de La BD à tous les étages qui se déroulera au Centre Pompidou, du 29 mai au 4 novembre 2024.