Delirium, la nouvelle mini-série de huit épisodes de Netflix, porte à l’écran l’une des œuvres les plus célèbres de la littérature colombienne contemporaine. Adaptation du roman primé de Laura Restrepo de 2004, Delirio, ce drame psychologique est une production de TIS Productions. L’histoire se centre sur Fernando Aguilar, un professeur d’université qui rentre chez lui après un court voyage et découvre sa femme, Agustina Londoño, inexplicablement perdue dans un profond état d’effondrement mental. Sa quête de la cause de son état conduit le récit, le forçant à plonger dans un passé sombre qu’il ignorait. L’arrivée de la série est un événement majeur pour la télévision latino-américaine, faisant suite à l’adaptation prestigieuse par Netflix de Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez. Cette initiative consolide une stratégie de contenu claire de la part de la plateforme de streaming : investir dans les joyaux de la couronne culturelle de la littérature colombienne pour produire un contenu de prestige, à résonance locale, pour un public mondial.

Une descente dans un esprit fracturé et le passé d’une nation
La série se déroule sur deux chronologies, une structure narrative qui reflète le thème central de la fragmentation psychologique. Dans le présent, l’histoire suit l’enquête désespérée d’Aguilar sur les événements qui ont conduit à l’effondrement de sa femme. Celle-ci est entrelacée avec une seconde chronologie qui explore le passé d’Agustina, révélant une éducation mouvementée au sein d’une riche famille de Bogotá, marquée par un traumatisme profond. Cette approche non linéaire est un choix créatif délibéré, conçu pour immerger le spectateur dans l’expérience déroutante du délire éponyme. Le public, comme Aguilar, est contraint de reconstituer un puzzle à partir de fragments de mémoire épars, créant une expérience de visionnage troublante et immersive. À mesure qu’Aguilar creuse, il découvre un réseau de secrets de famille enfouis, l’hypocrisie étouffante de l’élite sociale de Bogotá, et des liens directs avec le monde du trafic de drogue qui a défini la Colombie dans les années 1980. Bien que la structure soit thématiquement puissante, la concentration intense sur l’histoire d’Agustina laisse parfois l’enquête actuelle en second plan, certaines actions d’Aguilar paraissant incohérentes ou sous-développées.
Un réseau de secrets et d’âmes tourmentées
Au cœur du mystère se trouve Agustina Londoño, interprétée par Estefania Piñeres. Elle est le centre énigmatique de l’histoire, une femme issue d’un milieu privilégié dont la folie soudaine est l’éruption violente d’une vie de traumatismes ignorés. Son état sert de miroir, reflétant tout ce que sa famille et la société ont choisi de refouler. Juan Pablo Raba joue son mari, Fernando Aguilar, un universitaire plus âgé qui sert de substitut au public. Il est l’étranger rationnel dont l’amour pour sa femme le pousse à naviguer dans le monde irrationnel et secret de la famille Londoño. Un personnage clé du passé d’Agustina est Fredy « El Midas » McAlister, joué par Juan Pablo Urrego. C’est un personnage dangereux et mystérieux qui représente l’influence inéluctable du monde criminel et la force perturbatrice du narco-capitalisme. La famille Londoño elle-même est un écosystème étouffant de secrets. Paola Turbay joue Eugenia Portulinus, la mère stricte et mondaine d’Agustina, qui gère tous les problèmes en les dissimulant. Salvador del Solar incarne Carlos Vicente Londoño, une figure centrale de l’histoire sombre de la famille, tandis que Cristina Campuzano joue Sofía Portulinus, la tante d’Agustina, qui incarne la tradition et la fragile façade de santé mentale au milieu du chaos. Ces personnages fonctionnent plus comme des archétypes que comme des individus, représentant une société en crise — de la matriarche complice maintenant le décorum social à l’observateur intellectuel impuissant.
De la page à l’écran : Le défi d’adapter ‘Delirio’
Porter à l’écran le récit complexe du roman a été une tâche entreprise par les réalisateurs Julio Jorquera et Rafael Martínez Moreno, avec un scénario adapté par les scénaristes et producteurs exécutifs Andrés Burgos et Verónica Triana. La production a été une entreprise intensément créative et exigeante. Les acteurs ont décrit la difficulté de trouver le ton unique du projet, qu’ils ont qualifié de « liquide » et « rare », reflétant l’ambition de traduire l’état psychologique complexe du roman en un médium visuel. Les premières semaines de tournage ont été particulièrement exigeantes, les acteurs s’efforçant d’incarner des personnages aux prises avec une détresse émotionnelle intense alors que l’atmosphère générale du projet était encore en cours de définition. Le langage visuel de la série est un élément clé de sa narration. La cinématographie emploie un symbolisme à plusieurs niveaux pour extérioriser l’état interne d’Agustina. Les scènes intimes sont utilisées avec un soin délibéré, non pas pour un effet gratuit, mais comme un outil narratif pour explorer et souligner les complexités des relations et des dynamiques de pouvoir des personnages.
Un portrait d’une époque : Recréer le Bogotá des années 80
La série ne se déroule pas simplement dans le Bogotá des années 1980 ; l’époque elle-même est un personnage central. Le contexte d’une Colombie aux prises avec l’immense pouvoir des cartels de la drogue et une tension sociale omniprésente est crucial pour comprendre à la fois la source de la richesse de la famille Londoño et sa paranoïa profondément enracinée. Le dysfonctionnement de la famille — sa violence cachée, son obsession pour la classe sociale et les apparences, et ses secrets soigneusement gardés — sert de microcosme puissant au délire collectif d’une nation en proie à de profonds et violents bouleversements. Delirium est donc à la fois un thriller psychologique tendu et une réflexion sombre sur une période douloureuse de l’histoire colombienne, examinant la frontière poreuse entre la santé mentale d’un individu et le chaos de la société dans laquelle il vit. La mini-série est sortie mondialement sur Netflix le 18 juillet 2025.