Guillermo del Toro : L’alchimiste des monstres et des fables modernes

Des rues hantées de Guadalajara à la gloire des Oscars, un regard sur le réalisateur visionnaire qui célèbre le grotesque et le sublime dans son cabinet de curiosités cinématographique.

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Guillermo del Toro. Por Kacy Bao - Trabajo propio, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=166624739

Dans le grand panthéon du cinéma moderne, peu de figures occupent un espace aussi singulier et finement ciselé que celui de Guillermo del Toro. Il est cinéaste, auteur, artiste, mais par-dessus tout, il est un alchimiste. Depuis plus de trois décennies, il pratique une forme unique d’alchimie cinématographique, prenant ce que certains pourraient appeler la « matière vile » — monstres, fantômes, insectes et autres accessoires de l’horreur — pour la transmuter en or narratif. Son œuvre témoigne d’une conviction profonde et inébranlable : les monstres sont les « saints patrons de l’imperfection » et, au cœur du grotesque, réside une beauté singulière et poétique.

Sa carrière n’est pas une simple progression de l’horreur à petit budget au prestige hollywoodien, mais un projet constant, celui de toute une vie, visant à bâtir un cabinet de curiosités cinématographique. Chaque film est un nouveau tiroir de ce cabinet, révélant un monde méticuleusement conçu où les contes de fées se heurtent à la mécanique brutale de l’histoire, et où les personnages les plus humains portent souvent des cornes, des branchies ou des cœurs d’horlogerie. Cette vision sans compromis l’a mené aux plus hauts sommets de l’industrie, lui valant les Oscars du Meilleur réalisateur et du Meilleur film pour une œuvre sur l’amour d’une femme muette pour un dieu de la rivière, et un autre pour le Meilleur film d’animation pour une fable en stop-motion sur un garçon de bois dans l’Italie fasciste. Le parcours de Guillermo del Toro est l’histoire d’un réalisateur qui n’a pas changé sa vision pour gagner l’approbation d’Hollywood mais qui, par sa seule maîtrise artistique et sa conviction, a poussé Hollywood à enfin reconnaître la vision profonde et monstrueuse qu’il a toujours portée en lui.

Une enfance forgée dans l’ombre et la foi

La matière première de toute la vision artistique de Del Toro a été extraite des rues et des foyers de sa ville natale de Guadalajara, au Mexique, où il est né le 9 octobre 1964. Sa jeunesse fut un creuset d’influences profondes et souvent contradictoires. Il a été élevé dans un foyer catholique strict et dévot, sous l’autorité de sa grand-mère, une femme dont la foi était à la fois une source d’iconographie riche et de terreur profonde. Elle voyait sa fascination naissante pour le fantastique et l’horreur non pas comme une étincelle créative, mais comme une maladie spirituelle. Désapprouvant ses dessins de monstres et de démons, elle a soumis le jeune garçon à deux exorcismes, l’aspergeant d’eau bénite pour tenter de purifier son âme. En guise de pénitence supplémentaire, elle plaçait des capsules de bouteilles en métal dans ses chaussures pour lui ensanglanter les pieds, une manifestation physique et crue de la culpabilité religieuse.

Ce catholicisme morbide faisait écho à la réalité brute de la ville elle-même. Del Toro a évoqué son exposition précoce et répétée à la mort, conservant des souvenirs vifs de cadavres vus dans des morgues, des catacombes d’églises et dans la rue après des accidents ou des actes de violence. Cet environnement, où le sacré et le profane dialoguaient de manière constante et viscérale, a façonné un esprit qui ne voyait pas de frontière nette entre le réel et le fantastique. Pour s’échapper, il s’est réfugié dans un monde imaginaire, trouvant son réconfort non pas auprès des saints, mais des monstres.

Ses pulsions créatives ont trouvé un exutoire vers l’âge de huit ans, lorsqu’il a commencé à expérimenter avec la caméra Super 8 de son père. Ses premiers films, mettant en scène des jouets de La Planète des singes et d’autres objets du quotidien, étaient déjà imprégnés d’une sensibilité sombre et comique. Un court métrage notable mettait en scène une « pomme de terre tueuse en série » aux ambitions de domination mondiale, qui assassinait sa famille avant d’être écrasée sans cérémonie par une voiture. Ces premières œuvres révèlent un esprit qui jouait déjà avec les codes de l’horreur, trouvant un pouvoir étrange et merveilleux dans le macabre. Le conflit central de l’œuvre ultérieure de Del Toro — l’affrontement entre des institutions rigides et cruelles et le « monstre » sensible et incompris — était une externalisation directe de cette enfance. Il n’a pas simplement rejeté la foi de sa grand-mère ; il s’est approprié son apparat gothique, transférant son sentiment d’émerveillement et de terreur à une nouvelle mythologie personnelle, de sa propre création.

L’apprentissage de l’artisan : De Necropia à Cronos

Le passage de Del Toro du statut de jeune amateur à celui de cinéaste professionnel s’est construit sur un savoir-faire pratique. Il s’est inscrit au programme d’études cinématographiques de l’Université de Guadalajara, où il a même publié son premier livre, une biographie d’Alfred Hitchcock. Cependant, sa formation la plus décisive n’a pas eu lieu dans une salle de classe, mais dans un atelier. Il a recherché et étudié les effets spéciaux et le maquillage auprès du légendaire Dick Smith, l’artiste à l’origine des effets révolutionnaires de L’Exorciste. Ce mentorat a été une véritable transformation. Pendant la décennie suivante, Del Toro s’est consacré à cet art, travaillant comme maquilleur d’effets spéciaux et fondant finalement sa propre société à Guadalajara, Necropia. Durant cette période, il a affiné ses compétences sur des séries télévisées mexicaines comme Hora Marcada, où il a travaillé aux côtés de futurs collaborateurs tels qu’Alfonso Cuarón et Emmanuel Lubezki, et a cofondé le Festival international du film de Guadalajara.

Cette compréhension profonde et tactile de la manière dont la magie du cinéma est physiquement sculptée, moulée et animée allait devenir le socle de son style de réalisation, lui inculquant une préférence durable pour les effets pratiques qui confèrent à ses créations fantastiques une présence tangible et viscérale. Cet apprentissage intensif a culminé avec son premier long métrage en 1993, Cronos. Le film, financé par un budget d’environ 2 millions de dollars que Del Toro a en partie couvert lui-même, était l’expression ultime de son parcours d’artisan. Il s’agissait d’un film entièrement bâti sur son expertise en effets spéciaux. Cronos raconte l’histoire d’un vieil antiquaire qui découvre un dispositif vieux de 400 ans, semblable à un insecte, qui accorde la vie éternelle en échange d’une soif de sang vampirique. Le film était une véritable déclaration d’intention, présentant au monde les motifs emblématiques de Del Toro : des mécanismes d’horlogerie complexes, une imagerie insectoïde, un monstre tragique et sympathique, et une profonde veine de symbolisme catholique. Il a également marqué sa première collaboration avec l’acteur Ron Perlman, qui jouait un Américain brutal à la recherche de l’appareil.

Cronos a fait sensation au Mexique, remportant neuf Prix Ariel, dont ceux du Meilleur film et du Meilleur réalisateur. Il a ensuite remporté le prestigieux prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes, annonçant l’arrivée d’une voix d’une originalité saisissante sur la scène mondiale. Aux États-Unis, cependant, sa sortie fut limitée et il ne rapporta que 621 392 dollars. Le film fut un chouchou de la critique mais une simple note en bas de page sur le plan commercial, un schéma qui allait définir la prochaine étape de sa carrière alors qu’il s’aventurait au cœur du système hollywoodien.

L’épreuve du feu : Le calvaire de Mimic à Hollywood

Suite au succès international de Cronos, Del Toro a fait sa première incursion dans le système des studios américains avec le film de science-fiction et d’horreur Mimic en 1997, produit par Dimension Films, le label de genre de Miramax. L’expérience s’est avérée être une épreuve du feu traumatisante. Il s’est constamment heurté aux producteurs Bob et Harvey Weinstein qui, selon lui, s’ingéraient dans tous les aspects du projet. Le studio remettait en question ses décisions sur l’intrigue, le casting et le ton, exigeant un film plus conventionnel et « effrayant » que le film de créatures atmosphérique qu’il envisageait. Le concept original, impliquant des insectes blancs et fantomatiques, fut remplacé par des cafards mutants géants, une décision que Del Toro redoutait, craignant qu’elle ne transforme son film en « le film avec des cafards géants ».

Les batailles créatives devinrent si intenses que Harvey Weinstein aurait fait irruption sur le plateau à Toronto pour montrer à Del Toro comment diriger, avant de tenter de le faire renvoyer, une manœuvre qui ne fut déjouée que par l’intervention de l’actrice principale, Mira Sorvino. Del Toro a depuis décrit la réalisation de Mimic comme l’une des pires expériences de sa vie, une « expérience horrible, horrible, horrible », qu’il a comparée de manière défavorable à l’enlèvement de son propre père. Il a finalement renié le montage sorti en salles, bien qu’il ait pu sortir un director’s cut en 2011 qui restaurait certaines de ses intentions originales. Cette épreuve a failli le détourner définitivement du cinéma américain.

Cependant, le traumatisme professionnel de Mimic a eu un impact profond et durable sur son art. En réponse au remontage et au contrôle de son travail par le studio, Del Toro a consciemment développé un style de réalisation spécifique comme forme d’autodéfense créative. Il a commencé à filmer d’une manière qui défiait un remontage facile, en utilisant des mouvements de caméra fluides, complexes et souvent longs qui serpentent à travers le décor. Ce style de « caméra flottante », aujourd’hui célébré comme une marque de fabrique de son art, est né comme une tactique de survie calculée. C’était un moyen de faire de la caméra un personnage narratif à part entière, en intégrant si profondément la logique du récit dans le langage visuel d’un plan qu’il ne pouvait être facilement démantelé dans la salle de montage. La douleur de Mimic a forgé les outils mêmes qu’il utiliserait pour construire ses futurs chefs-d’œuvre.

Retour aux sources : Le gothique espagnol de L’Échine du Diable

Ébranlé par son calvaire hollywoodien, Del Toro a entrepris une retraite stratégique et spirituellement nécessaire. Il est retourné à ses racines, créant sa propre société de production, The Tequila Gang, et se lançant dans une coproduction en langue espagnole entre l’Espagne et le Mexique. Le résultat fut L’Échine du Diable (2001), une histoire de fantômes gothique profondément personnelle qui a servi à la fois de renaissance créative et de matrice thématique pour ses œuvres les plus acclamées.

Le film a été produit par le légendaire réalisateur espagnol Pedro Almodóvar et son frère, Agustín, via leur société El Deseo. Ce partenariat s’est avéré être l’antidote parfait au poison de Mimic. Del Toro a bénéficié d’une liberté de création totale, un concept si absolu que lorsqu’il a demandé le montage final, Pedro Almodóvar, perplexe, lui a répondu : « Mais, bien sûr, la décision vous revient ! ». Cet environnement protégé a permis à Del Toro de retrouver sa voix et de panser les blessures de son film précédent. Il a ressuscité un scénario qu’il avait écrit avant même Cronos, une histoire se déroulant en 1939, pendant la dernière année de la guerre civile espagnole. L’histoire suit un jeune garçon, Carlos, envoyé dans un orphelinat hanté dirigé par des loyalistes républicains. Là, il affronte non seulement le fantôme d’un enfant assassiné, mais aussi les maux bien humains de la cupidité et de la violence, incarnés par le concierge, Jacinto. Le film mêle magistralement l’horreur surnaturelle et la tragédie historique, faisant de la guerre civile espagnole ce que Del Toro appellera plus tard un « moteur à fantômes », un traumatisme historique si profond que ses spectres continuent de hanter le présent.

L’Échine du Diable a été salué par la critique comme un chef-d’œuvre d’ambiance et de métaphore. Plus important encore pour Del Toro, ce fut la confirmation que sa vision sans compromis pouvait donner naissance à un cinéma puissant et marquant. Il a décrit ce film comme le « film frère » du Labyrinthe de Pan, un pendant plus masculin à l’énergie féminine de son œuvre ultérieure. L’épanouissement créatif et le succès critique de L’Échine du Diable ont été la séance de thérapie artistique essentielle qui a non seulement restauré sa confiance, mais a également posé les bases thématiques et historiques du chef-d’œuvre à venir.

À la conquête du grand public : Blade II et la saga Hellboy

Fort du triomphe créatif de L’Échine du Diable, Del Toro est revenu à Hollywood, mais cette fois-ci selon ses propres conditions. Il a pris les rênes de la suite du film de super-héros et de vampires Blade II (2002), un projet qui lui a permis de fusionner son esthétique gothique et monstrueuse avec l’action explosive des blockbusters. Lassé du cliché des « héros victoriens torturés » et romantiques, il était déterminé à rendre les vampires à nouveau effrayants. Le film a été un succès retentissant, rapportant 155 millions de dollars et prouvant que sa sensibilité unique pouvait s’épanouir au sein d’une franchise grand public. Il a apporté son amour caractéristique pour les effets pratiques, la conception complexe des créatures — comme les terrifiants « Reapers » aux mâchoires scindées — et son éclairage d’ambiance sombre à l’univers des films de bande dessinée, créant ce que de nombreux fans considèrent comme le sommet de la trilogie.

Ce succès lui a donné le poids nécessaire dans l’industrie pour poursuivre un projet qu’il chérissait depuis des années : une adaptation de la bande dessinée de Mike Mignola, Hellboy. Le parcours pour porter à l’écran le démon à la peau rouge et à l’humour pince-sans-rire a été ardu, défini par la loyauté et l’intégrité artistique inébranlables de Del Toro. Pendant sept ans, il s’est battu contre les studios qui hésitaient à lancer le projet et, surtout, à accepter son choix pour le rôle principal. Del Toro était catégorique : un seul acteur pouvait incarner l’âme du personnage, son ami et collaborateur fréquent, Ron Perlman. Il a refusé de faire le film avec quiconque d’autre, prêt à sacrifier l’ensemble du projet plutôt que de faire des compromis sur ce qu’il considérait comme son cœur.

Sa persévérance a payé. Hellboy est sorti en 2004, suivi de la suite encore plus fantastique, Hellboy II : Les Légions d’or maudites, en 2008. Ces films sont une vitrine éclatante des passions de Del Toro. Ils regorgent d’effets pratiques et de créations de créatures à couper le souffle, dont beaucoup sont nées directement de ses carnets personnels. Il n’a pas abordé ces films de franchise comme un réalisateur de commande, mais avec la même passion d’auteur que pour ses œuvres indépendantes. Il a équilibré l’action explosive avec un pathos authentique et un humour centré sur les personnages, humanisant son héros monstrueux et sa famille de « marginaux ». Ce faisant, Del Toro a brouillé la frontière entre le cinéma d’art et d’essai et les multiplexes, démontrant qu’à ses yeux, une histoire sur un monstre sympathique était une entreprise louable, quel que soit le budget.

Le chef-d’œuvre : Au cœur du Labyrinthe de Pan

En 2006, Guillermo del Toro a sorti le film qui allait définir sa carrière et consolider son statut comme l’un des plus grands visionnaires du cinéma mondial : Le Labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno). Coproduction internationale entre l’Espagne et le Mexique, ce projet était si personnel que Del Toro y a investi son propre salaire pour en assurer l’achèvement. Le film est la synthèse ultime de chaque thème, influence et obsession qui ont façonné sa vie et son œuvre jusqu’à ce point.

L’histoire, née de vingt ans d’idées, de dessins et de fragments d’intrigues collectés dans ses carnets méticuleusement tenus, se déroule en 1944, cinq ans après la guerre civile espagnole. Elle suit une jeune fille nommée Ofelia, qui voyage avec sa mère enceinte pour rejoindre un avant-poste militaire rural commandé par son nouveau beau-père sadique, le capitaine phalangiste Vidal. Fuyant la réalité brutale de sa nouvelle vie, Ofelia découvre un labyrinthe ancien et un faune mystérieux, qui lui révèle qu’elle est la princesse disparue d’un royaume souterrain. Pour reconquérir son trône, elle doit accomplir trois tâches périlleuses.

Le Labyrinthe de Pan est un mélange magistral et déchirant d’un conte de fées sombre, à la manière des frères Grimm, et de la brutalité implacable de l’Espagne franquiste d’après-guerre. Le monde fantastique n’est pas une simple évasion de la réalité, mais plutôt une lentille métaphorique à travers laquelle Ofelia analyse et affronte ses horreurs. Les thèmes du choix et de la désobéissance sont centraux ; Ofelia est constamment mise à l’épreuve, forcée de choisir entre l’obéissance aveugle à des figures autoritaires comme Vidal et le Faune, et sa propre boussole morale. La créature la plus terrifiante du film, l’Homme Pâle, un dévoreur d’enfants, est une allégorie directe des maux institutionnels du fascisme et de l’Église catholique complice.

Le film a été présenté en première au Festival de Cannes 2006, où il a reçu une ovation debout de 22 minutes, l’une des plus longues de l’histoire du festival. Il est devenu un phénomène mondial, rapportant plus de 83 millions de dollars pour un budget modeste de 19 millions et recueillant des critiques élogieuses. Il a reçu six nominations aux Oscars, dont celle du Meilleur scénario original pour Del Toro, et a remporté trois statuettes pour la Photographie, la Direction artistique et le Maquillage. Le film était la quintessence de son identité artistique, l’œuvre vers laquelle toute sa carrière avait convergé, et il lui a accordé un immense capital créatif pour toutes ses futures entreprises.

L’auteur en tant que producteur et collaborateur

Après le succès monumental du Labyrinthe de Pan, l’influence de Del Toro s’est étendue bien au-delà de ses propres réalisations. Il a consolidé son rôle de force créatrice centrale dans le récit fantastique moderne, utilisant sa nouvelle notoriété pour soutenir d’autres cinéastes et étendre son univers créatif sur de multiples plateformes. Son travail de producteur n’est pas une activité secondaire, mais une extension directe de son impulsion de bâtisseur de mondes. Incapable de diriger personnellement toutes les histoires qui captivent son imagination — comme son projet passionné et jamais réalisé, une adaptation des Montagnes hallucinées de H.P. Lovecraft — il utilise son influence pour donner vie à des mondes thématiquement alignés.

Il a été producteur et mentor sur des films d’horreur hispanophones acclamés comme L’Orphelinat (2007) de J.A. Bayona et Mamá (2013) d’Andy Muschietti, encourageant de nouveaux talents dans le genre qu’il affectionne. Il est également devenu une force créative majeure dans l’animation, en tant que producteur exécutif sur des films de DreamWorks Animation tels que Le Chat Potté (2011), Les Cinq Légendes (2012) et les suites de Kung Fu Panda. Son influence s’est également étendue aux franchises à succès et à la télévision. Après avoir été pressenti pour réaliser l’adaptation cinématographique du Hobbit, il a finalement quitté le fauteuil de réalisateur mais est resté crédité comme co-scénariste des trois films de la trilogie de Peter Jackson, façonnant ainsi le récit de la Terre du Milieu. Il s’est aventuré à la télévision en tant que cocréateur et producteur exécutif de la série FX The Strain (2014-2017), basée sur la trilogie de romans de vampires qu’il a co-écrite avec Chuck Hogan. Pour Netflix, il a créé la vaste et populaire franchise d’animation Les Contes d’Arcadia, qui comprend les séries Chasseurs de trolls, Le trio de l’au-delà et Mages et Sorciers. À travers ces divers projets, Del Toro cultive un univers partagé de dark fantasy à plus grande échelle, utilisant son nom et ses ressources pour enrichir son « cabinet de curiosités » bien au-delà de ce qu’il pourrait accomplir seul.

Une histoire d’amour atypique : La forme d’un Oscar

En 2017, Guillermo del Toro a réalisé le film qui allait lui valoir la consécration ultime de l’industrie : La Forme de l’eau. La genèse du film réside dans un souvenir d’enfance : celui d’avoir regardé L’Étrange Créature du lac noir en souhaitant que le monstre et l’héroïne puissent vivre leur histoire d’amour. Des décennies plus tard, il a réalisé ce souhait dans un conte de fées se déroulant pendant la Guerre froide, qui est devenu son œuvre la plus célébrée.

Située à Baltimore en 1962, l’histoire est centrée sur Elisa Esposito, une femme de ménage muette dans un laboratoire gouvernemental secret. Sa vie d’isolement silencieux est bouleversée lorsqu’elle découvre l’atout le plus précieux du laboratoire : une créature humanoïde amphibie capturée dans le fleuve Amazone. Alors qu’elle noue un lien silencieux avec la créature, elle découvre le projet d’un agent gouvernemental sadique de la disséquer. Le film est une ode magnifique et mélancolique aux marginaux, où la famille de cœur d’Elisa — son voisin gay vivant dans le secret et sa collègue afro-américaine — représente les voix opprimées de l’époque. Réalisé avec un budget relativement modeste de 19,5 millions de dollars, La Forme de l’eau est une leçon de maître en matière d’atmosphère et d’émotion, utilisant son décor de 1962 comme un « conte de fées pour des temps troublés » afin de commenter les angoisses sociales et politiques contemporaines.

Le film a été présenté en première à la Mostra de Venise, où il a remporté le Lion d’or, avant de devenir un favori de la critique et de la saison des récompenses. Sa nuit de triomphe a eu lieu lors de la 90e cérémonie des Oscars. Le film, qui avait obtenu treize nominations, a remporté quatre statuettes, dont celles du Meilleur décor, de la Meilleure musique originale, du Meilleur réalisateur pour Del Toro, et le prix convoité du Meilleur film. Ce fut un moment historique. Pendant des décennies, les films de genre avaient été largement relégués aux catégories techniques par les grandes académies. Avec cette victoire, l’Académie a pleinement embrassé l’argument que Del Toro a défendu tout au long de sa carrière : une histoire de monstre, une romance entre une femme et un « homme-poisson », peut être aussi profonde, artistique et digne de la plus haute distinction de l’industrie que n’importe quel drame traditionnel. La « matière vile » qu’il chérissait tant avait été alchimiquement transformée en or cinématographique aux yeux de l’establishment.

Une vision en évolution : film noir, animation et avenir

Dans les années qui ont suivi son triomphe aux Oscars, Del Toro a continué d’évoluer en tant qu’artiste, explorant de nouveaux genres tout en revenant à ses plus anciennes passions. En 2021, il a sorti Nightmare Alley, une œuvre marquante car c’est son premier long métrage sans éléments surnaturels. Adaptation somptueuse et sombre du roman de William Lindsay Gresham de 1946, le film est une exploration pure et ténébreuse de l’ambition et de la dépravation humaines, démontrant sa maîtrise du film noir classique. Avec sa direction artistique époustouflante et la performance magistrale de Bradley Cooper, le film a obtenu quatre nominations aux Oscars, dont celle du Meilleur film, prouvant que sa commande artistique s’étendait bien au-delà du domaine du fantastique.

Il a enchaîné avec un projet qu’il mûrissait depuis plus d’une décennie : Pinocchio par Guillermo del Toro (2022). Revenant à son premier amour, l’animation en stop-motion, il a réimaginé le conte classique non pas comme une histoire pour enfants, mais comme une fable sombre et profonde sur la vie, la mort et la désobéissance, sur fond de l’Italie fasciste de Mussolini. Le film est une merveille technique et émotionnelle, célébré pour sa beauté artisanale et ses thèmes matures et antifascistes. Il a triomphé tout au long de la saison des récompenses, culminant avec un nouvel Oscar pour Del Toro, cette fois-ci pour le Meilleur film d’animation.

Cette victoire a solidifié une nouvelle voie pour le réalisateur. Il a déclaré qu’après quelques autres films en prise de vues réelles, il prévoyait de consacrer le reste de sa carrière principalement à l’animation, un médium qu’il considère comme la « forme d’art la plus pure » et celle qui offre le plus grand contrôle créatif. Pour un cinéaste obsédé par la construction méticuleuse de mondes — un désir né de ses films d’enfance en Super 8 et renforcé par le traumatisme de l’ingérence des studios — le stop-motion représente l’ultime frontière. C’est le seul médium où la main du réalisateur est littéralement dans chaque image, une expression directe et sans compromis de sa volonté. Ce virage boucle la boucle de son parcours, du garçon animant ses jouets à Guadalajara au maître animant ses marionnettes sur la scène mondiale.

La résurrection d’une passion de toujours : Frankenstein

En 2025, Del Toro devrait sortir Frankenstein, un projet qui représente l’aboutissement d’une obsession artistique de toute une vie. Pour Del Toro, cette histoire n’est pas seulement un classique du genre, c’est une religion personnelle. Il a raconté avoir vu le monstre de Boris Karloff dans son enfance et avoir compris pour la première fois « à quoi ressemblait un saint ou un messie ». Ce lien profondément personnel a nourri son désir d’adapter le roman de Mary Shelley pendant des décennies, attendant les conditions idéales pour créer une version qui pourrait reconstruire l’univers de l’histoire à la bonne échelle.

Sa vision pour le film n’est pas celle d’un film d’horreur conventionnel, mais plutôt d’une « histoire incroyablement émouvante ». Il cherche à retrouver le sentiment de la première lecture du roman, avant que ses personnages ne deviennent des caricatures culturelles. Le récit se concentrera sur la relation complexe entre le créateur et sa création, explorant les thèmes de la paternité et de la filiation qui sont profondément enracinés dans la vie de Del Toro. Le film met en vedette Oscar Isaac dans le rôle du brillant et égotique scientifique Victor Frankenstein, et Jacob Elordi dans celui de sa création tragique. Le casting comprend également Mia Goth, Christoph Waltz et Charles Dance. La sortie du film est prévue en salles de manière limitée le 17 octobre 2025, avant une diffusion mondiale sur Netflix le 7 novembre 2025. Del Toro a décrit ce film comme la fin d’une ère pour lui, une grande synthèse des préoccupations esthétiques, rythmiques et empathiques qui ont défini son travail depuis Cronos jusqu’à aujourd’hui.

Le saint patron de l’imperfection

La carrière de Guillermo del Toro est un témoignage de la puissance d’une vision singulière et profondément personnelle. Son parcours, d’un garçon de Guadalajara obsédé par les monstres à un maître célèbre des fables modernes, a été défini par un engagement inébranlable envers ses convictions fondamentales. Il a constamment défendu les parias, les « autres » et les imparfaits, trouvant en eux une beauté émouvante qui reflète notre propre humanité pleine de défauts. Son antiautoritarisme convaincu, qu’il soit dirigé contre la machine fasciste ou le dogme de l’Église, traverse toute son œuvre comme un puissant courant sous-jacent. C’est un auteur au sens le plus pur du terme, dont les préoccupations thématiques et le langage visuel distinctif sont immédiatement reconnaissables. Ses films sont sombres mais porteurs d’espoir, grotesques mais poétiques, et reposent sur la profonde compréhension que les contes de fées ne sont pas une échappatoire à la réalité, mais un outil vital pour naviguer dans ses recoins les plus obscurs.

Guillermo del Toro ne se contente pas de créer des monstres ; il les comprend, il les aime, et il les voit comme les saints patrons d’un monde qui a désespérément besoin d’embrasser ses imperfections. Ce faisant, il nous tend un miroir magnifiquement étrange et profondément empathique, reflétant le monstrueux et le magique qui sommeillent en chacun de nous.

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