Deux séries de nouvelles œuvres sont présentées ici ensemble pour la première fois à Paris. Réalisé en visionnant en ligne des flux de caméras en direct au cours des dernières années pendant la pandémie (interactions webcam avec l’artiste sur un site de chat vidéo et des flux de caméras de surveillance piratées), ces œuvres parlent à la fois de la solitude de l’interaction en ligne en 2023 mais aussi des mécanismes automatisés par lesquels nos vies sont silencieusement gérées. Cela est ensuite perturbé par des pépins d’intimité et d’entropie. Les images se décomposent en parties constituantes : des couches de peinture à l’huile épaisses et collantes sortent de la surface pour devenir des objets, puis retombent dans des illusions définies et claires sur de l’aluminium lisse.
L’intensité et la vitesse de beaucoup de peintures chatrandom capturent un seul moment dans un geste spontané – une bouche parlant, ou des visages penchés hors de vue mais avide de satisfaction. Inversement, le temps ralentit dans les tableaux de surveillance. Le mystère d’une seule vue circonscrite, des espaces qui sont possédés et gardés mais activement pénétrés, des portails à sens unique dans l’inconnu : la lumière du soleil passant à travers une chaise dans une petite pièce sur l’île de Man, un point de trésorerie de Tokyo la nuit, une piscine à l’aube vue à travers une lentille embuée en Arizona, ou les non-places familiers – autoroutes ou corridors institutionnels où la banalité et l’étrangeté coexistent.
Celia Hempton explore les concepts de voyeurisme à l’ère post-numérique. Dans ses peintures, ses performances et ses installations, elle explore les lignes floues du confort et du consentement, du désir et de l’assujettissement, de la visibilité et de l’opacité, cherchant à déconstruire les façons dont nous interagissons les uns avec les autres dans une ère d’hypermédiation en évolution rapide. Formellement, les peintures de Hempton, qui varient dans l’échelle de l’intime à la taille de la vie, reconnaissent les tropes de la peinture d’histoire et le corps féminin souvent soumis. Les peintures riches en couches d’Hempton jouent directement avec ce dynamisme historique et le confrontent, produisant des célébrations tactiles du corps, aux côtés de multiples perspectives sur la façon dont le regard corporel est construit.
On pourrait être tenté·e de dire du travail de Celia Hempton qu’il est oyeuriste. Mais cela reviendrait à rester au seuil de sa démarche. Depuis une izaine d’années, l’artiste choisi ses modèles parmi des internautes croisé·es çà et là sur des sites de discussions en ligne comme chatrandom. Elle laisse défiler les corps et les environnements jusqu’à ce que l’un d’eux l’interpelle et qu’elle décide de le portraiturer. Si bien que son poignée est davantage contraint qu’intrusif. L’artiste ne peut faire fi des limites. Il y a d’abord le cadre, restreint par une webcam de médiocre qualité qui propose une image compressée. Il y a aussi le temps imposé par celui qu’elle décide de peindre et qui peut à tout moment choisir de disparaitre. Son regard est donc réduit à un certain espace-temps et sa peinture soumise au bon vouloir de l’autre. En cela, le processus de Celia Hempton déjoue les dynamiques de pouvoir que l’on rencontre traditionnellement entre un peintre et son model, entre un homme et une femme, entre une occidentale et une personne qui ne l’est pas. Après avoir peint une multitude de jambes écartés et de sexes avachis, Celia Hempton s’intéresse aujourd’hui à une nouvelle typologie d’images. Toutes proviennent de l’incessant flux de films produits par des caméras de surveillance disséminées aux quatre coins du monde. Il y a là l’entrée d’un ascenseur en Russie, plus loin l’arrière d’un restaurant tokyoïte, ou encore quelques feuilles qui dansent au milieu d’une cour à Taïwan. Ces vidéos pourraient être déconcertantes de banalité mais c’est eur solitude qui est troublante. Elles ne sortent jamais tout à fait de leur anonymat et refusent même de se révéler pleinement à nous. Une fois figée sur la toile, elles oscillent entre figuration et abstraction et tentent à nouveau de se dérober. Quelle confiance pouvons-nous accorder aux images ? Sommes-nous bien sûr·es de ce qui se trame ? Plus que les limites, il semblerait que ce sont nos certitudes que Celia Hempton chahute.
Galerie Sultana
75 Rue Beaubourg, 75003 Paris, France