La galerie expose pour la première fois le travail du photographe français Vincent Bousserez.
Ses oeuvres sont des images hybrides, des diptyques comme il les appelle, dans lesquelles cohabitent tirage pigmentaire et tirage au carbon sur verre. L’artiste crée ainsi deux interprétations d’un même paysage qu’il fusionne afin de ne créer qu’une seule et même image, comme s’il nous donnait à voir la fabrication en acte de celui-ci.
Plus que des points de vue sur la nature, les photographies de Vincent Bousserez participent d’une réflexion sur le statut de l’image et sa reproductibilité.
La photographie de paysage qui alerte sur le péril écologique grandissant est un exercice très répandu en photographie. Mais là où la démarche de Vincent Bousserez se distingue c’est dans la cohérence qu’il réussit à tisser entre l’objet photographié et la photographie elle-même en tant qu’objet plastique.
Le tirage au charbon sur verre, un procédé qui remonte aux premiers temps de la photographie, devient alors le double spectral du paysage encadré.
Cette superposition constitue les couches mémorielles du paysage.
À travers sa série Altered, qui signifie « altéré », Vincent Bousserez pose ainsi la question du paysage en tant qu’invention de notre regard, comme lieu investi d’images déjà assimilées.
Artist statement
Artiste photographe passionné d’aventure et de nature, je parcours les contrées reculées de notre planète en quête de lieux sublimes à immortaliser.
Je souhaite ainsi m’inscrire dans la longue tradition de la représentation du paysage, comme source de beauté et reflet de notre humanité.
Avec ma nouvelle série personnelle ALTERED, j’illustre de manière figurative et formelle notre distanciation, voire notre déconnexion face à notre planète, et la manière dont la numérisation de notre regard affecte notre façon de voir et de vivre le monde naturel. La capture digitale, notamment via nos téléphones, nous a submergé et bien souvent, plutôt que de vivre pleinement le Présent, nous ressentons de nouveaux besoins irrépressibles : créer des images via une marée de captures digitales et les partager.
Tout cela fait écho à mes préoccupations concernant les menaces qui pèsent sur notre environnement, sujet que j’aborde dans plusieurs séries personnelles ces dernières années.
La pixellisation de notre monde nous déconnecte de celui-ci et nous donne un faux sentiment de maîtrise sur la Nature, alors que les paysages vierges que je photographie sont finalement la preuve intrinsèque de notre insignifiance dans le temps géologique.
En janvier 2022, je débutais ce projet ALTERED.
Afin de figurer notre regard digitalisé sur notre monde, j’ai imaginé la création de dyptiques faisant se superposer deux images d’un même paysage : une image argentique parfaite, et une image digitale grossière, abîmée, altérée. Je suis parti en Islande pour réaliser mes prises de vues, ce pays que j’aime tant, magnétique, photogénique, et représentant parfaitement ces géographies naturelles multi-photographiées car soumises à un tourisme toujours croissant.
User, jouer, vriller le médium photographique : la Photographie entre document et art contemporain.
Au tout début de la Photographie, avant qu’il ne soit techniquement possible de fixer et stabiliser l’image, les expérimentations photographiques avaient lieu sur cuir, verre, étain recouvert de bitume de Judée, ou à l’aide de résine de gaïac.
L’image, fugitive et évanescente, volait, s’évanouissait, jouait des tours à celui qui voulait la dompter et la rendre captive.
Dans ma série ALTERED, j’ai eu le sentiment de renouer avec cette tradition empirique : il était important pour moi de trouver une méthode argentique ancienne, permettant de fixer cette seconde image directement sur le verre de l’encadrement. Et je souhaitais réaliser ces tirages moi-même, afin que l’ensemble des éléments fabriqués de mes mains devienne œuvre d’art.
Tirage au charbon sur verre : une ôde au savoir-faire & un matériau hautement symbolique.
Mon choix s’est porté sur la technique du Tirage au charbon sur verre.
Datant du XIXème siècle, ce procédé photographique est une technique laborieuse, difficile à maîtriser. Elle nécessite beaucoup de temps et de travail pour produire une seule image.
Elle contraste avec la rapidité et la facilité avec lesquelles les images peuvent être produites via les smartphones, les appareils photo numériques, les logiciels de retouches que je maitrise par ailleurs, ainsi que, de manière de plus en plus effrayante, avec l’intelligence artificielle.
L’utilisation de cette technique traditionnelle pour représenter la beauté de la nature est symbolique de l’importance de préserver notre patrimoine naturel face à la crise écologique.
Le charbon est une énergie fossile dont la combustion est l’une des causes principales du réchauffement climatique. En choisissant de superposer ces deux types de tirage, j’ai souhaité créer une œuvre qui représente la beauté de la nature tout en rappelant la nécessité de réduire notre empreinte carbone.
Pendant plusieurs mois, j’ai expérimenté et affiné cette méthode de Tirage au charbon sur verre. J’ai été confronté à de multiples contraintes, ratés, bloquages mais j’ai peu à peu mis en place une technique me permettant d’obtenir le rendu que je souhaitais un an plus tôt lorsque j’avais imaginé ce projet.
J’aime également à l’idée de faire vivre ces images grâce à un procédé très ancien, alors qu’elles sont d’origine numérique.
Nous sommes en avril 2023 et mes premières pièces sont enfin finalisées.
– Vincent Bousserez
Galerie Esther Woerdehoff
36 Rue Falguière, 75015 Paris, France