Dans cette nouvelle exposition à la galerie, Nathalie Talec poursuit ses explorations, réelles ou métapho- riques, et présente un ensemble d’œuvres sur papier, d’objets et de sculptures, autour d’un personnage juvénile, omniprésent, multiple et troublant qui n’est autre qu’elle-même. Au travers de ce qui ressemble à des collages fortuits, ces autoportraits inédits dévoilent une partie souterraine du travail, celle qui échappe à la conscience, celle qui assume l’obsession de la dualité, l’impudeur, l’égarement, la désolation et ses aspérités.
« J’ai récemment retrouvé un ensemble d’images très anciennes. Je n’en comprends pas vraiment la nature, mais elles me semblent être la source de tout. Ce sont comme les signes
avant-coureurs d’une obsession. Il s’agit d’une série d’autoportraits réalisés dans un refuge abandonné de moyenne montagne. Nous sommes à la fin des années 70. J’ai une vingtaine d’années. À l’époque, je ne connais rien à l’art. Je ne comprends pas ce qui me pousse alors à réaliser ces images qui ne renvoient à rien en terme de modèle ou d’exemple. On m’y voit couchée à terre, emmitouflée, blottie, seule, les yeux fermés, immobile dans un tas de neige comme naufragée. Qu’est-ce que je faisais
là ? Pourquoi me suis-je photographiée ? Je n’ose- rais pas parler de performance tant la notion m’était étrangère à l’époque. Ces photos, je ne désirais
les adresser à quiconque. C’était juste entre moi et moi. Je suis incapable aujourd’hui de les expli- quer, de les décrypter, mais elles contiennent déjà tout ce qui allait constituer mon travail. Sûrement
mes premières œuvres d’art. Il semblerait ainsi que toute mon œuvre soit un cheminement pour es- sayer de remonter à cette source, de ressaisir ces images enfouies, énigmatiques, primordiales. […]
Depuis ces premières photographies de 1979, j’ai le sentiment de vouloir faire émerger une obsession, un traumatisme passé sous silence.
Cette faille mentale est apparue à la fin des années 70 et m’a conduite à créer dès 1983 des fictions, des doublures, des simulacres susceptibles de flouter ou dissimuler un état de conscience duelle. Depuis les premiers autoportraits falsifiant ou maquillant toujours un rapport distancé au monde jusqu’aux oeuvres produites aujourd’hui pour l’ex- position NOW’S THE TIME, le silence sur ce trouble est resté entier. […]
Aujourd’hui cependant, j’éprouve ce be- soin impérieux de revenir aux sources de mes obsessions et d’accepter d’ouvrir cette fêlure, sans laquelle aucune oeuvre n’aurait dû voir le jour : en dévoilant cette partie souterraine et décomplexée du travail, celle qui échappe à la conscience, celle qui ose l’impudeur, celle qui assume les aspérités, l’hétérogénéité, l’égarement, la désolation… Ce personnage, que je tente de dissimuler depuis l’ori-
gine du travail, n’est autre que le mien – conscient mais déstructuré, multiple, agité – qui apparaît aussi bien sous les traits d’une jeune fille que sous ceux d’un chaman ou encore d’un monstre marin. Il n’y
a aucune hiérarchie dans les images choisies, ni dans les techniques. C’est simplement le résultat d’un imaginaire en ébullition, d’un détournement permanent, d’une sédimentation mentale, presque autonome, qui absorbe et restitue tout ce qu’elle croise et que rien n’arrête. […]
Mon activité obsessionnelle repose essen- tiellement sur le collage. Il me permet de m’égarer sur des pistes inédites et parfois paradoxales.
Le collage a ceci d’intense qu’il ose la découpe, qu’il taille, qu’il maltraite, qu’il s’autorise le piratage, la copie et le recyclage et qu’il ne suppose au- cune invention. Il y a dans ces assemblages et ces accumulations d’images, l’idée d’une parodie hé- roïque sans grandeur, qui comporte, comme toute exploration son lot de réussites et d’échecs. […]
Tel dessin issu d’un livre d’heures du 14e siècle, tel dessin d’enfance, telle photo d’un ob- servatoire polaire, je les déplace, les combine, les détourne, les heurte sans jamais les inventer. Et c’est encore le cas aujourd’hui dans cette nouvelle série de tableaux Coming back to my own…, ou en- core dans ces deux sculptures inédites, qui, sous les traits de figures féminines juvéniles parfaitement identiques agissent comme métaphore du moi enfantin. Il y a bien évidemment une forme d’iden- tification à cette fillette, omniprésente, inquiète, naïve et nue, qui trouve refuge derrière des images qui, tout à la fois, l’enveloppent, la dissimulent et la protègent. »
Il n’y a qu’un seul but à notre progression : définir notre position. Nous traversons une terre incon- nue et ignorons à tous moments ce que chaque nouveau regard doit nous révéler d’abîmes, mais notre allure reste toujours la même.
Knud Rasmussen
Nathalie Talec
Fragments d’un entretien avec Jean-Yves Jouannais à paraître dans la collection « écrits d’artistes », Éditions Beaux-Arts de Paris, 2023
Nathalie Talec
Née en 1960 (FR). Vit et travaille à Paris.
Attirée par les pôles et bercée par les récits anciens et modernes des explorateurs tel Paul-Emile Victor, Nathalie Talec crée dès les années 1980 un univers scientifico-fictionnel poétiquement glacé. En quête de pureté originelle et fascinée par l’action du froid, elle expérimente à travers lui, les questions de perception, étudie l’action des phénomènes chimiques ou atmosphériques sur les éléments et laisse se tramer des récits à travers ses dessins, photographies, sculptures, installations, vidéos, perfor- mances ou œuvres sonores.
Nathalie Talec a bénéficié d’expositions personnelles dans des institutions prestigieuses telles la Fondation EDF (2019), le FRAC Franche-Comté (2016), le MAC VAL (2009)… Nathalie Talec a dé- veloppé une collaboration de long terme avec Sèvres, Cité de la céramique et a étendu sa pratique à des oeuvres monumentales dans l’espace public et privé. Elle se distingue également dans des per- formances et œuvres sonores, comme la carte blanche dans l’entier musée du Louvre en 2006, Haute fidélité, parcours sentimental et musical.
Ses oeuvres sont présentes dans d’importantes collections publiques (Centre Pompidou MNAM, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, CNAP, Fonds d’art contemporain – Paris Collections, FRAC IDF, Aquitaine, Alsace …).
Galerie Maubert
20 Rue Saint-Gilles, 75003 Paris, France