Toile tendue comme une peau de tambour, fond blanc accidenté de tâches bleues, rouges, jaunes, des lignes, des signes, des replis, des détours. Les silhouettes languissantes d’un jardin fou s’enchevêtrent et dansent, à demi effacées. Une grille tente de tenir la partition, relayée dans un coin. Parfois des mots, qu’on déchiffre à l’envers.
Michaële Andréa Schatt peint comme on écrit, ou plutôt comme on prend des notes pour soi, comme on griffonne pour libérer de ce qui nous envahit. D’abord, le geste est libre, spontané, nécessaire. Laisser la pensée s’écouler, sans ponctuation, sans retenue. C’est en marge qu’elle se prépare, loin du tableau, sur de grandes bâches. Il faut ensuite reprendre, raturer, transférer, assembler ce qu’il reste sur la page laissée blanche, sur cette grande toile où l’artiste reporte, les unes après les autres, ses intuitions, ses turbulences, ses dessins. Jusqu’à ce que l’oeuvre se révèle.
En différant la composition finale, Michaële Andréa Schatt se prémunit de l’évidence. Elle semble ne rien s’obliger, de même qu’elle ne nous impose rien. Ce qu’elle nous montre, c’est une peinture qui se présente, une peinture « inachevée », c’est-à-dire encore vive, comme le serait une parole délivrée de la nécessité d’expliquer, de donner forme définitive aux choses. Ce qu’on discerne du paysage – car il s’agit toujours de paysages, qu’ils soient réels ou mentaux – ce ne sont plus tant les objets qui l’habitent que la lumière, l’air, l’ombre, l’infini réseau des affinités qui les tiennent ensemble et nous relient à eux. Un réseau sans emprise, qui ne contraint ni le regard, ni l’esprit. Quelque chose d’une mélodie intérieure, ou d’un écho, dont la petite musique, en débordant, irriguerait le moindre espace vide.
Je disais : « assembler ce qu’il reste », mais alors que reste-t-il ? Vers où nous conduisent ces chemins qui percent à travers le taillis des couleurs ? Par où entrer ? De toile en toile s’exprime cette attention particulière que l’artiste porte à la nature. Pas une nature de carte postale, pas une nature tranquille, charmante, mais une nature occulte, fragile. C’est un monde à l’envers qu’elle nous montre de l’intérieur, ce monde empli de doute, de crainte et de douleur, dans lequel nous vivons. Oser retourner le ciel bleu pour voir ce qui s’y cache. Laisser sourdre le noir. Ce noir-colère, qui gronde comme l’orage gronde.
Thibault Bissirier, juin 2023
Galerie Isabelle Gounod
13 Rue Chapon, 75003 Paris, France