Adapté du best-seller de Richard Osman, Le Murder Club du jeudi arrive sur Netflix comme un « cozy » whodunit d’ingénierie précise qui privilégie la maîtrise artisanale, le jeu d’ensemble et la lisibilité procédurale plutôt que l’esbroufe. Mis en scène par Chris Columbus et produit en partenariat avec Amblin Entertainment, le film transpose un phénomène littéraire en un récit audiovisuel épuré, à la géographie claire, au tempo mesuré et à l’accent mis sur la dynamique des personnages. Le postulat demeure intact : quatre retraités d’une résidence cossue de la campagne anglaise transforment leur passe-temps – l’étude de cold cases – en enquête en temps réel lorsqu’un décès local révèle un faisceau de mobiles. Le ton reste léger sans frivolité, et l’histoire aborde la mortalité comme la vie communautaire avec un tact non ostentatoire.
Le collectif d’interprètes est le principe organisateur. Helen Mirren, Pierce Brosnan, Ben Kingsley et Celia Imrie incarnent Elizabeth, Ron, Ibrahim et Joyce avec un mélange de retenue comique et d’acuité d’observation. Le film laisse leurs tempos complémentaires faire progresser le récit : l’économie gestuelle de Mirren ; la chaleur butée de Brosnan ; le calme analytique de Kingsley ; la curiosité attentive, presque poreuse, d’Imrie. La chimie est fonctionnelle plus qu’ornementale : les répliques se chevauchent, les silences pèsent, et le rythme du groupe transforme les interrogatoires en déductions partagées plutôt qu’en numéros de bravoure. Autour d’eux, Naomi Ackie et Daniel Mays fournissent un contrepoint policier régi par la procédure plutôt que par la condescendance, tandis que David Tennant, Jonathan Pryce, Richard E. Grant, Henry Lloyd-Hughes, Tom Ellis, Geoff Bell, Paul Freeman, Sarah Niles et Ingrid Oliver composent un réseau de suspects et de confidents qui élargit le champ sans perdre en lisibilité. Le casting dépasse la simple valeur des noms : chacun apporte un vecteur précis de témoignage, de contradiction ou de mobile qui fait avancer la chaîne des indices.

Columbus maintient une autorité de mise en scène proportionnée. Sa direction privilégie la conduite d’acteurs, un blocage net et une préférence pour la logique spatiale plutôt que pour les soulignements visuels emphatiques. Les scènes commencent et s’achèvent sur une idée plutôt que sur une figure de style. Le dialogue se résout naturellement ; le montage favorise les réactions motivées et les raccords sur le mouvement qui conservent la continuité de la recherche. L’effet convoque davantage le mystère de salon des années cinquante que la pastiche contemporaine : le film résiste à l’envie d’intensifier quand la patience suffit. Concrètement, les indices sont montrés avant de devenir décisifs, les fausses pistes naissent de comportements crédibles et la solution reconfigure des informations déjà données plutôt que d’introduire des artifices tardifs. C’est la doctrine du « fair-play » appliquée à une forme populaire.
Les départements techniques s’alignent sur cette éthique de lisibilité. La photographie de Don Burgess privilégie la compréhension de l’espace : plans d’établissement, points de vue récurrents et profondeur de champ sélective qui isole le détail pertinent sans ostentation. Les intérieurs de Coopers Chase sont éclairés d’un naturalisme doux ; les extérieurs exploitent les ciels couverts pour conserver textures et contours. Le montage de Dan Zimmerman respecte la cadence conversationnelle et évite les redondances, notamment dans les entretiens où l’insistance pourrait télégraphier des résultats. La partition de Thomas Newman sert de tissu conjonctif : des motifs reviennent pour marquer les passages de la convivialité à l’investigation sans prescrire l’émotion. Chaque choix préserve l’autonomie du spectateur ; le film invite à l’inférence au lieu d’imposer la réaction.
Le décor et les costumes accomplissent un travail narratif silencieux. Les espaces communs montrent l’usage, pas l’excentricité scénographique ; les pièces privées reflètent leurs occupants par une économie de couleurs et d’objets. Le costume refuse les raccourcis caricaturaux : fonctionnalité sans rigidité pour Elizabeth ; superpositions utilitaires pour Ron ; neutres calibrés et textures sobres pour Ibrahim ; chaleur mesurée pour Joyce. L’effet cumulatif ancre les personnages dans une quotidienneté plausible et déjoue la tendance du genre à remplacer l’intériorité par la « bizarrerie attendrissante ». Dans un récit fondé sur l’observation, cette tactilité compte : elle assied les déductions dans un monde habité plutôt que vitrifié.

En tant qu’adaptation, Le Murder Club du jeudi condense une œuvre réputée pour sa texture diaristique et sa pluralité de points de vue au sein d’un cadre d’environ deux heures sans amputer ses intérêts centraux : la friction et la coopération entre la procédure institutionnelle et l’initiative civile, et la manière dont l’âge fournit des méthodes souvent sous-évaluées par les systèmes. Chris Columbus et les scénaristes Katy Brand et Suzanne Heathcote resserrent les fils périphériques et externalisent la voix intérieure par l’action, le geste et des inserts parcimonieux. L’humour procède de l’inférence plutôt que du trait d’esprit conclusif, et le film conserve l’équilibre du livre : le macabre traité avec proportion, l’amitié en avant sans sentimentalité. La présence de Richard Osman à la production exécutive se lit dans la préservation du ton et dans le refus d’instrumentaliser la vieillesse, ni comme ressort comique, ni comme inspiration édulcorée.
Essentiel : le film considère ses protagonistes âgés comme des collaborateurs compétents, non comme des curiosités narratives. Leurs outils d’enquête – écoute, mémoire institutionnelle, patience pour les tâches peu glamour – constituent un contre-modèle au détective hypercompétent. La police n’est pas un antagoniste de paille : elle s’adapte aux contributions hétérodoxes du Club, et l’instruction devient une étude de respect réciproque. Ce dispositif possède une valeur culturelle. Dans un écosystème dominé par l’escalade à haut concept et des têtes d’affiche jeunes, Le Murder Club du jeudi montre que la coopération intergénérationnelle et le savoir local peuvent construire un thriller satisfaisant sans recourir au spectaculaire.
La mécanique du mystère observe le principe de « jeu loyal ». Les indices apparaissent à découvert ; les fausses pistes sont motivées par le caractère, non par le caprice d’auteur ; et le dénouement privilégie la responsabilité plutôt que la grandiloquence. Les amateurs reconnaîtront des figures familières – vérification d’alibis, mobiles traversés par les rapports de classe, dramaturgie de la révélation finale – mais le plaisir ici est essentiellement processuel : voir comment Elizabeth, Joyce, Ibrahim et Ron assemblent du sens à partir de fragments. Le résultat se mesure moins au choc de la révélation qu’à la clarté de la reconstitution, une satisfaction qui supporte le revisionnage.
Les réglages d’interprétation soutiennent cette approche. Mirren situe l’autorité dans la retenue, suggérant un passé dense sans surcharge d’exposition. Brosnan joue la conviction plutôt que le volume, ce qui donne aux confrontations de Ron une rugosité gagnée. La tranquillité observatrice de Kingsley – un regard qui assure le travail diagnostique – ancre les déductions d’Ibrahim dans la méthode plutôt que dans la providence. Le tempo d’Imrie refuse la mièvrerie, faisant de Joyce un centre éthique autant qu’une source de chaleur. Parmi les seconds rôles, Ackie et Mays dessinent un contexte institutionnel crédible ; Tennant, Pryce, Grant, Lloyd-Hughes, Ellis, Bell, Freeman, Niles et Oliver articulent des fils discrets de mobile et d’opportunité qui maintiennent la carte des soupçons lisible.
Du point de vue industriel, le projet aligne des atouts complémentaires. Netflix bénéficie d’une propriété littéraire à notoriété mondiale ; Amblin apporte une garantie de compétence narrative grand public ; et Columbus mobilise une longue expérience de direction d’ensemble. Formellement, le film est calibré pour le visionnage domestique : mixage qui privilégie l’intelligibilité des dialogues ; compositions qui favorisent les plans moyens lisibles sur différents écrans ; maintien de l’élan par la finalité de chaque scène plutôt que par des pics d’action. Dans le catalogue, le titre complète les thrillers plus sombres de la plateforme avec un registre adjacent – spirituel, humain, procédural – qui élargit l’offre policière.
Les crédits reflètent cette cohérence. Chris Columbus réalise et produit ; Jennifer Todd est à la production ; le scénario est signé Katy Brand et Suzanne Heathcote ; l’image, le montage et la musique sont assurés par Don Burgess, Dan Zimmerman et Thomas Newman ; les sociétés impliquées incluent Jennifer Todd Pictures, Maiden Voyage et Amblin Entertainment, avec Netflix comme distributeur. Ces éléments comptent parce qu’ils signalent une préférence pour des collaborateurs aguerris à l’ingénierie du récit classique – une modalité parfois moins voyante, mais qui peut surpasser sans bruit des stratégies plus tapageuses.
Reste le geste culturel : refuser d’aplatir la vieillesse en stéréotype. Le pragmatisme, l’endurance et l’écoute de ces retraités deviennent le moteur de l’enquête et la source du comique. Le meurtre n’est pas banalisé ; il est resitué dans une communauté qui mesure la conséquence. Le résultat n’est ni subversion ni « comfort food ». C’est un mystère solidement fabriqué, exécuté avec proportion et tact, dont les plaisirs naissent de la clarté, des interprétations et de l’accumulation patiente de sens.
Sortie limitée en salles à partir du 22 août 2025 ; sortie en streaming sur Netflix le 28 août 2025.

